Ferruccio BRUGNARO 

 

 

Ferruccio BRUGNARO  vit à Venise. Il est l’auteur de plusieurs recueils chez l’éditeur BERTANI.

On peut le découvrir  plus largement dans « Le printemps mûrit lentement » paru aux éditions Editinter en 2002, dans une édition bilingue.

 

 

 

 

Ferruccio BRUGNARO

                                     (Traduit par Jean-Luc LAMOUILLE)

 

 

Portrait partiel de Maria

                           

 

1.

 

Elle part à huit heures

à midi

à dix heures et demie

à deux heures   de l’après-midi

à quatre heures.

Maria part à neuf heures

à dix heures

à onze heures.

L’école l’appelle à temps plein.

Mieux vaut ne pas attacher d’importance  

                             à l’horloge

si on ne veut pas

être désorienté

se perdre complètement.

Maria part sans arrêt

il  n’y a pas de distinction

 entre les jours et les heures.

Il  n’est pas facile de savoir quand

elle revient.

Elle peut aussi revenir

à une heure

à une heure et demie

à six heures

    à sept

     à huit.

 Son retour est un mystère.

                   Mais quand elle revient

                   quand elle revient

   c’est si beau

qu il y a de quoi devenir fou.


2.

 

L’automne était lumineux.

Midi était passé

depuis un bon bout de temps.

Dans la cuisine

          mon puissant père

attendait pour manger quelque chose

  mais il n’y avait pas

le moindre signe de repas.

Maria rentre entre-temps

comme une tourmente

chargée de sacs et de livres.

La maison se réchauffe tout à coup.

Maria lave les légumes

 prépare la viande.

Mon père me regarde d’un air hésitant.

Maria prend les casseroles, allume les brûleurs

                                taille, fait revenir.

                       Maria se déplace

dans mille directions

et raconte, raconte avec enthousiasme

                sa matinée.

Mon père regarde autour de lui

   incrédule

il  me regarde impressionné.

Il  me dira un jour

cette femme est véritablement un démon.



3.

 

Maria chante, parfois, les chansons

                      les plus intenses.

Chansons qui n’ont jamais été

entendues avant

qui ne s’entendent

          nulle part.

Elle chante, parfois, explose dans ses

                                         chants

                                          denses

                                           d’histoires

                                           sans paroles.

Elle chante des choses, des événements

                                                inconnus

                     infatigable

                                         se déplace, se balance

                                me chante

                                 des joies profondes.

Elle chante, s’invente, m’invente

                           des chansons

                         Maria

quelquefois de retour

 dans la nuit fonde

ce qui ne peut se dire

ce qui ne peut se raconter.



4.

 

Regardez-la  assise entre les bancs

                     avec tous les enfants

                         agglutinés autour d’elle.

            Maria à l’école

                enchante continuellement

enseigne les mathématiques

                             mais fait de tout.

Regardez-la assembler science

                        et poésie

travail manuel

                        et musique.

Regardez comme elle entre dans la vie

             des enfants

                les plus malchanceux

  comme elle parle de la douleur humaine

              comme elle sait créer

                  une gaieté improvisée.

       Maria communique essentiellement

                 avec l’âme.

Regardez-la, il faut la voir

            elle ne s’arrête

            devant rien

ni personne.

Il  faut la voir, il faut l’entendre.


 

5.

 

Ne la heurte pas

                 sur la liberté

               sinon elle t’écharpe.

Ne la heurte pas

sur la justice

  parce qu’elle se transforme

                  en fauve.

Maria

  est fraternelle jusqu’à l’impossible.

Elle n’accepte pas, ne reconnaît pas

les palissades

                      les frontières

                    entre une vie

                      et une autre vie.

Elle repousse absolument

                  la peste des privilèges

                       des inégalités.

                Maria

porte un seul, unique

                    drapeau

le drapeau de son

rouge amour

qui ne veut pas

ne veut pas

                        être amené.