Claude Ber
Poète et auteur
dramatique, Claude Ber a publié une dizaine d’ouvrages, dont Orphée Market, Ed. de l’Amandier Monologue du preneur de son pour sept figures, Ed. Léo Scheer, Libres
paroles, Ed. Le Chèvre Feuille Etoilé, Alphabêtes, Ed.Lo Païs d’enfance, Parole pour une voix Ed. Via Valeriano, Sinon la Transparence Ed Via Valeriano, Lieu des
Epars, Ed. Gallimard… Ses textes de théâtre sont montés sur des scènes
nationales, son dernier ouvrage
poétique La Mort n’est jamais comme, Ed.Léo Scheer a reçu le Prix
International de poésie Ivan Goll. Elle participe aussi à des ouvrages collectifs ou en
collaboration avec des plasticiens, à de nombreuses revues de poésie ainsi qu’à
de multiples lectures et colloques en France et à l’Etranger. Lauréate du prix
de l'Académie des Sciences, des Lettres et Arts de Marseille pour l'ensemble de
l'oeuvre poétique, elle est présidente du Jury du
Forum Femmes Méditerranée et fondatrice des Rencontres Européennes
Evelyne Encelot. Agrégée de lettres, elle a enseigné
en lycée et à l’université et occupe à présent d’autres fonctions. Pour informations supplémentaires,
extraits d’œuvres publiées, presse etc. cf http://www.claude-ber.org
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Claude BER 21/11/05.
Pas de poème à part. Toujours le livre entier se fait à la conjonction/ confrontation du matériau. Donc simplement matériau en chantier. Échafaudages provisoires, surfilage, quadrillé sur fond de toile, papiers posés sur une table et c’est ça ici: une table de travail.
Et rien d’autre de possible avant le terme. Succession de fragments sans disposition. Pas de « dispositio » rhétorique avant que ne germe une forme. Défiance à publier en revue à cause du danger de cette fixation de formes passagères et seulement à condition qu’à chaque fois ce soit très clair: fragments en chantier et rien de plus.
Fgmt1- Langue courante
avec l’autour qui se corrode – cul rouillé crevé de vieille bassine au fond d’un vallon -
dans rien soudain je suis
tandis que se disjoignent les âmes siamoises au grand gosier de nuit la dévorante
je parle langue courante
courant n’importe où ma gueuse de langue de gueux qui dit douleur en langue commune
( le cauchemar dont on rêve se réveiller, l’effondrement intérieur, le disparaissant dans un vide
invisible, la tête clouée, le tronc tranché, la revue du malheur en film à l’écran du front etc. )
tout ce « c’est-fait » hébété
débité semblablement par n’importe qui - et quelle importance ?-
de toute façon corps va à dépotoir
cages, fillettes, cachots où moururent coupables et innocents, pendaisons, guillotine, chaise
électrique, tortures, camps de morts, charniers de tous les massacres
ils reviennent … ils reviennent !
fraternellement en destruction dans mon gonflement de voile modèle réduit sur le petit lac où
jouent des enfants gais
cette disproportion vient à l’intime du poème non pour m’écrire (mécrire) ou médire de
l’horreur des temps
mais simplement parce que nous tous charniers
l’horreur là c’est tout partout
répétant la langue comment à chaque fois se creuse à démesure le poitrail de la vie et son
dedans de bœuf éventré
Fgmt2- Pas/Plus
pas plus c’était pas
c’était plus
c’était plutôt
non c’était pas
c’était pas un mot
un mot quand il aurait fallu
c’était comme
un oubli
ou c’était des cris
c’était pas un mot pas un geste
et puis une porte qui claque un vêtement qu’on jette
c’était l’énervement toujours pour rien
dans
la voix
dans
le geste
c’était violent
une violence tout le temps
c’était pas vraiment
non
c’était plutôt
comme
si c’était plus
plus comme avant
c’était la faute du dehors
des
choses
des
gens
ça venait tout du dehors
et
plus rien du dedans
c’était devenu vide dedans
c’était sec dedans
mort
dedans
ou
bien ça voulait fuir pour ne pas mourir
mais ça mourait
ça
mourait dedans
et
c’était venu vite
on s’attendait pas
comme
un cancer du pancréas
liquidé en quelques mois
sans annonce
sans
rien qui prépare
c’était
là et puis soudain
ça a commencé à
ne plus être là
c’était là longtemps comme un soleil dans les mains
et puis ça c’est éteint
il est resté
la brûlure du froid
c’était pas
c’était
pas vraiment
c’était
plutôt toujours une fatigue
toujours une lassitude
sans
cet allant cet aller de l’amour qui rend tout vif et fort
et jamais las
soudain c’était plus là
c’était
nuit et épuisant
tout épuisant les jours
les nuits
les choses
les
gens
tout épuisant tout énervant
tout insupportablement le temps
la mort la vie
c’était fini
c’était parti la vie
avec l’amour c’était parti
et pourtant c’était pas
c’était
pas qu’on s’aimait pas
c’est même pas
qu’on
s’aimait plus
c’était l’amour qui était
parti pas
de nous mais de la
vie
de lui on n’avait plus que la douleur et
le cri
l’étrange douleur d’un amour qui finit quand il n’est pas fini
et c’était pas à elle qu’il pouvait dire le mal qu’elle lui faisait à lui
et c’était pas à lui qu’elle pouvait dire cette souffrance de lui
alors c’était pas dit
c’était le cri
L’essentiel
du travail : le vide et le plein. Pas question de densité de mots au cm2
mais question de pensée. De présence de la pensée. Qu’elle pisse au goutte à goutte
en rares mots dispersés ou abondamment à
flot continu peu importe. C’est une question d’autre de la pensée dans la
pensée. Du placement, déplacement d’autre. Du vrai justement déplacé. Pas de la
pensée qui chausse de parole la pensée. Croquenots ou sandales idem en marche
militaire. Au contraire aller nus pieds à la pensée ou plutôt elle allant hors
du soi de la pensée, hors de la langue de la pensée, dans le corpslanguedelapensée, au coeurducorpspensée.
Fgmt3- Venue à fin
avec sous la peau vieille cœur neuf
la peau sèche cœur veuf
meurs en vie momie
mots et mails d’amour paroles furtives dans déjà le demi souffle du désir rires caresses
complicités surnoms des amants douceur des peaux lèvres aux lèvres est d’autre devenu
et tombe le visage dans la tombe de mains ouvertes à mon visage
dans le roucoulement des tourterelles, le caquetage des cormorans, le sifflement des merles et
la crécelle des pies fin est venue dans l’incrédulité et
ma stupéfaction fut moi absolument
face au jardin où un orage d’été grésille d’éclairs dans un tonnerre de chaleur éclatée, à ce
frisson de froid qui me parcourt je sais la porte entre baillée sur un déjà-passé qui se referme
d’une poussée légère – ce n’est rien qu’un passage – et je mime dos tourné un encore-devant-
moi de sentiers de tiges et de prairies à rouler l’éternité dans le regard tandis que c’est arrière
devenu
et là à même la crevasse surgit l’inexorable
sur un ciel à peau de poulpe que j’écorce de mes doigts gluants glissés entre pelure et chair,
dépiautant la bête crevée telle que vont mort et vie m’écorcher et vider à mon tour
Si l’art ne déroute pas, il rentre à la niche ! Fin du propos. Le pantalon de
l’homme lui tombe sur les fesses. Si lard ne dégoûte pas il ventre la miche. Puis
grandiloquence désespérée : ainsi parle la bouche dans le rocher une parole renaissante.
Et par dessus minou minou minou la voix de la voisine qui s’émeut du mâtou.
Une télé allumée happe du miaulis parasite et ronronne : « il y en a qui porte leur bite sur leur
visage »
j’imagine un nez dressé en verge et je pouffe dans mon poing. Puis du lointain souvenu
amène un autre ton. Au nid des mots se brise la coque sous le bec.
Vont volant aux éclats rapaces rossignols alouettes hirondelles mésanges et passereaux battant
des ailes un semis de paroles
envol de mots oiseaux dans un envol de mains
c’est vrai non mec ? !
un établi de zinc s’incurve
grondant dans une durée de bric et de broc
puis il disparaît sans suite comme ma pensée décousue
établi copeaux d’acier limaille dans la fournaise de la pensée
je pense : comme j’allais sans voir!
Et c’est de même un tremblement de tôle ondulée qui tintinnabule dans
le silence suivant
un pont-levis se ferme là où je contemplais le vaste ouvert à la fente du regard
au sexe des anges à la plénitude des bienheureux
et une herse empale à la terre l’errant couché que je suis devenu
je pense : c’est adieu à la chair cette acceptation forcée de ce corps où déloge mon être
puis de nouveau cacahuètes dans des mots détachés à l’eau écarlate de ma
langue où je fais les mêmes taches que sur ma chemise propre
détachée la langue détacher la langue détachez la langue !
je débranche le fer à repasser posé museau en haut et reflétant ma face dans l’acier de sa
plaque
je gnognote mpopopomnopompo et un autre épisode m’apporte mon crâne
avec un os de tibia fiché dedans juste pour un temps très court mais me
faisant ces quelques minutes un mal de chien
puis dans l’absence à tout je chantonne bers barons nones nonnains putes putains gentes
dames et pucelles chevaliers et troubadours
et leurs icônes vieilles sont à ma solitude la tresse d’Yseult et de Tristan
je note
sur un postit : dans le pentacle de
l’amour éc
puis je rature et de nouveau silence de
confins d’univers
où ? quel où là bas dans cela sans là ni là bas ?
s’égrènent chronologiquement des pépites de paille d’épouvantail épouvanté
c’est le tracé du temps
puis
répit
noir
Fgmt6- Anna du lama fou
au déchiré des crevasses la dentelle
lève-toi Anna du lama fou regarde ces lignes tricotées de mes mains qui se défont
le dérapé de ma nuit ses ravines son éboulis
réveille-toi !
la pluie tictaque une heure de goutte bue et un grésil de morse
quoi la vie crois-tu sinon tacot tombé dépotoir à ferrailles courbe d’électrochocs ?
hurler faut-il pour que de cette hauteur où basculent mes paroles dans leur fable s’entendent
chats-huants hiboux et orfraies et nos voix d’autrefois, tu te souviens, là haut, où les bêtes
vivaient ?
à cet entre-deux murs pareil aux couloirs d’asile
tangue, à des années de distance, un même
roulis de naufrage et de rédemption
pour cet ourlet du temps cette pâte de vie roulée sur elle-même éveille-toi !
il y avait dans le village une maie et un four à bois que je te donne en imaginaire
je brade aussi le lierre l’ortie et les pigeons qui s’envolent avec des herbes aux pattes
chemine ma silhouette lourde vers le temps qui s’amuït
Anna du lama fou réveille toi ! et vois l’histoire affamée qui nous dévore
s’est ouverte la dalle où saignaient les trois cœurs
dénoués en collier de compassion tandis que vier va entrant entre les cuisses et sueur et salive
et sperme dans le sexe et la bouche
colère au cœur de vitriol dans l’acide d’hiver
que ne se dresse plus corps de vengeance et qu’il se couche enfin armant l’ouvrage de vivre de
ses outils de bois cintrés d’étoffes et d’ajoncs hache et main d’amour taillées au bout à bout
des lettres dites
qu’ils reposent à côté des viscères picorés par le bec des corbeaux
poitrine vide de son cœur de chair et qu’aille en paix ma vie reposer sous la colline de
miséricorde
dans les œillets et le mimosa
loin de la neige mon cœur loin de la neige
C.B.