Ternaires
Maurice Regnaut
Editions P.J.Oswald
80 pages,
1971
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Ternaires,
« Il ne viendra jamais rien que la nuit sur la neige »
Ternaires a paru aux éditions Pierre Jean
Oswald en 1971. Ce titre de Ternaires
renvoie nombre trois, tel le nombre de vers composants les poèmes.
Sans doute les acceptions de ce mot nourrissent des
significations plus larges comme peut-être celle qui renvoie au rythme musical
et s’applique ici à l’écriture.
Le livre est composé de quatre ensembles. Le
ternaire
« Quai, rails,
horloge, / Et soudain le déclic de l’aiguille / Sur l’univers. »
les précède et ouvre le
livre comme pour en indiquer le propos. Numérotées de un à quatre chacune des
parties est composée d’une dizaine de poèmes de trois vers.
Cette conscience de vivre
« M’étendre sur la terre, / N’être plus que le temps qui
va / Me supprimer. »
Le premier ensemble de poèmes paraît circonscrire
la conscience du poète quant à sa présence au monde. Il s’agrège autour de ces
poèmes le sentiment tangible
d’une finitude inévitable et
celui plus diffus de l’absurde face à l’infini. Qui n’a pas été emporté par ses pensées dans les
méandres d’un réel impensable face aux dimensions infinies de l’univers et aux
limites de la réflexion humaine. Réalité inimaginable que notre vie pensée à
l’aune de cet univers et où soudain, un relent de mal-être nous rattrape.
Je crois discerner dans ces premiers ternaires,
les signes d’une écriture qui caractériseront celle de Maurice Regnaut dans ses autres livres.
-Le jeu avec la sonorité, l’homophonie et les
répétitions : si vert le vert
-Une écriture jouant avec les oppositions de
sens, la contradiction langagière et les changements de registre : Si noir, si clair, le bleu si rouge,
-Et enfin, des inversions dans la construction
grammaticale des vers qui donne à son écriture, un rythme et ce phrasé
particulier reconnaissable que l’on retrouvera dans ses livres :
Si lourde au pied mon
ombre.
Les autres vers qui montrent
la conscience de cette finitude simultanément à celle du vivre s’accumulent au
cours de cette partie :
»Comment
suis-je encore ici » ;
« Grands tournesols / Le soir / face à
l’horizon vide. »…
La conscience du rien
« O monde immense / Et moi / En mes mots
seuls ! »
La deuxième partie du livre paraît isoler
l’homme, le poète et le monde. C’est le moment de réflexion avant le choix d’une décision majeure. Le
poète possède la conscience d’un soi-seul-au-monde, comme ce ternaire en
témoigne. Le poète est l’être de la parole, des mots et du langage. L’homme qui
le devient dans cette conscience de vacuité de l’univers doit choisir,
Monde ou poème / Choisis
ta foi / Ou sois folie.
Dès lors, l’homme et le poète confondus savent
ensemble qu’il ne faut rien attendre,
Il ne viendra jamais /
Rien / Que la nuit sur la neige.
Extraire du néant
« La nuit vient , ma
rare, / Et ton corps encore / Plus beau qu’au soleil. »
Les parties trois et quatre me semblent plus
énigmatiques. Le poète doit se nourrir du rien, puisque cela seul est présent,
à la fois intangible et pourtant immémorial.
Au sens perdu d’un monde, à l’absence d’un dieu,
le poète interpelle la nuit - appelée – (p41),
nomme les poussières - visibles - (p 42), rend témoin d’une présence le
silence, l’écume et la lune (p44)… Il énumère le tangible du monde ! Face
à eux le poète les transcende dans le regard qu’il leur porte. Il substitue au
rien, le vrai de la parole. Dis-moi que rien n’existe, ô dis-le moi, /
Que le seul vrai soit non ce rien, Mais ta parole ! On trouve dans ce
ternaire, ce qui sera constant dans la poésie de Maurice Regnaut,
la présence et la nécessité du VRAI dans la parole. Et l’omnipotence de la
parole sur le monde. Il y a dans les poèmes de cette troisième partie les
strates d’une nouvelle naissance. Pour
vivre, recommencer à vivre en homme mortel sous
les auspices – acceptées – de la
finitude humaine.
Vivre
« Et ne plus être au cœur du bleu, / Terre
, / Qu’un seul cri ! »
La quatrième partie est une sorte de
réconciliation du poète avec la vie. Il semble l’accepter pour ce qu’elle est
dans ses limites, après que tout homme eût empli son existence de sens en
dehors de toute expérience mystique. Cette dernière partie loue la lumière, le
soleil et l’éclat des couleurs de la vie.
Bleu à bleu, feu à feu
bleu, et dire / Que j’aurais pu ne pas vous voir jamais, / Myosotis de ce
monde !
Le livre est-il le fruit d’une expérience
existentielle ? Hormis ce titre faisant référence à la forme trois du
ternaire, quels sont les autres sens auxquels il se rapporte ?
Peut-être contient-t-il dans les phonèmes le
composant, celle de « terne » qui pourrait être rapprochée avec
l’humeur qui aurait accompagné son écriture ?
Ou pourquoi pas un néo-adjectif décliné de terre
à l’instar de lunaire ? Le dernier poème pourrait en témoigner :
Ce bruit d’eau dans la
nuit, / Dors, / C’est la Terre.
Alors ces poèmes seraient propres à notre planète
habitée par l’homme – seul – dans l’univers mais qui ne cesse fébrilement de
s’interroger sur le sens de son existence.
« Entre le hêtre et
l’homme, O honte, Était le tremble. »
Hervé Martin