LBLBL
Maurice
(Regnaut)
Éditions Dumerchez
ISBN : 2912927447
D'après
une sérigraphie originale d'Henri Cueco un dessin orne la page couverture de ce
livre de la collection Double Hache des éditions Dumerchez. Ce dessin -un crâne
dont une flamme jaillit de l'une des orbites oculaires- me fait songer à ces
tableaux que l'on nomme des Vanités. Sur cette couverture, maurice, pour unique
patronyme signataire de cet énigmatique LBLBL, un titre provisoire qui
restera définitif. Avec cette première page, qui suscite déjà tant de
questions, l'auteur nous invite à le suivre dans sa quête de sens comme le
début d'un poème de Lettre II le suggère : "Tout. Mot. Geste.
Acte. Est signe -et veut dire quoi- qui à son tour veut dire -..."
Écrivain,
poète, Maurice Regnaut est aussi traducteur. Il a traduit Brecht, Rilke,
Fassbinder, Kosztolanyi et Enzensberger. Il fut l'un de ceux pour qui Louis
Aragon en décembre 1965 organisa une soirée au Récamier qui restera
dans les mémoires. Il signe aujourd'hui du seul nom de maurice - sans majuscule
- cet ouvrage dont le projet et le premier texte remontent à 1964.
Avec
ce livre, Maurice démontre sa fidélité. Tout d'abord à ce souffle, sa langue
vive, heurtée - rythmes par saccades - qui de "Balatila Blues"
paru en 1964 dans les Lettres françaises jusqu'à "HLM Blues"
achevé en 1998, soutient avec ferveur cette langue mûe par la même tonicité de
souffle. Fidèle à lui-même et surtout envers les poètes, dramaturges, amis, que
furent en leurs places, Louis Aragon, Arthur Adamov et Bernard Dort
auxquels sont adressées trois lettres.
Dans
la Lettre I - Pour Louis Aragon - la question du
double, de la duplicité, du dédoublement comme altérité de soi est posée.
Cette question de l'altérité à laquelle dès notre venue au monde nous
sommes confrontés est ici en suspend. L'autre ? L'ami près de nous ou
cet Autre nous-même ? Celui qui porte des traits de caractère humain que
l'on rêverait partagés ? Ou un Autre si différent… Cette vive attention
pour l'altérité met en lumière un désir d'identité. Sur le trajet
de l'Un vers un Autre, avec la vie pour horizon, des
flambeaux scintillent obscurément et laissent entrevoir des images
imprécises.
La
lecture de ces pages crée comme des effets de miroir :
reflets, ressemblances et dissemblances mêlés. "Je" se
cherche dans ce "Jeu" de miroir à réflexions multiples. "Je
est un autre", mais lequel, qui reste à inventer et sous quelle
figure ?
Dans Lettre I la
ressemblance en filigrane, comme un appui - comme une
admiration ? - franchit d'improbables miroirs et devient pour
certains traits de caractère, une dissemblance totale. Une
image inversée. Et un véritable contrepoint, pour ce qui concerne
la fidélité dont Louis Aragon affirme "Je n'ai
pas d'autre azur que ma fidélité", celle de se reconnaître "homme
double". Un jeu de la duplicité où Maurice se dit
incapable de tenir un rôle. Le "Je" qu'il affirme
est aux antipodes de ce "Jeu" double.
Défini
comme "être avec tous en seul rapport vrai", cette
affirmation d'être, ce "Je", n'est pas celui revendiqué pour un
quelconque pouvoir, mais celui, noble à mes yeux, d'un homme debout
qui marche près des siens ses semblables. Homme de face, vu. Sans vêtements de
classe, nu. C'est ainsi qu'il retrouve aujourd'hui
comme le lieu de la naissance. Ce lieu du premier-non. Nom du
cœur, donné du père et de la mère ensemble. Prénom maurice. Sans
majuscule aucune et sans patronyme, ce nom de l'état civil qu'il a
fallu revêtir sa vie durant. Un dénuement jusqu'à la source de l'être.
Maurice.
Un prénom. Votre premier-nom prononcé sur les lèvres des parents qui vous
nomment. Appelé successivement maurice - l'enfant - puis
Maurice Regnaut - l'homme d'âge adulte - l'auteur revendique aujourd'hui
pour le nommer cette unique parole du premier-nom prononcé. Un
prénom seul comme altérité de soi. Cet Autre qui s'éleva et
prît corps sur le chemin de vie.
C'est
encore sous le signe du reflet, du double, du dédoublement que s'inscrit ce
«Jeu» de nom Non peut-être pas double mais un «Je» en transformation
continuelle. Jeu de miroir dans sa traversée - la vie -
qui donne aujourd'hui et image et réponse à la
question que se pose l'enfant : qui serai-je demain ?
De
l'enfant jusqu'à l'homme aujourd'hui, Maurice puise
dans son prénom retrouvé, l'état d'une seconde enfance : "la
grande plénitude mortelle est une seconde enfance".
La
symbolique du double se cache peut-être aussi sous ce titre sibyllin de
LBLBL, que l'on pourrait voir écrit ainsi : LB
L BL, avec ces espaces blancs et
cet axe de symétrie du L. Elle ? Une femme ? La mort
peut-être ? Ces mouvements de lettres pourraient illustrer
l'écriture de Maurice. A moins simplement que ces lettres ne soient les
initiales du titre des ensembles composants l'ouvrage. Ce sigle
sauvé du canevas du livre : Lettre, Blues, Lettre, Blues,
Lettre ; ce titre provisoire.
Ce qui
traverse le livre de part en part et qui n'est pas sans avoir traversé le
temps, - la fidélité se love ici aussi, les premiers textes furent écrits dans
le début des années soixante - c'est le souffle de Maurice. Ce souffle qui
porte l'écriture.
Rythme
dans les vers par saccades. Mouvements vifs de la langue. L'écriture ici
transmet la langue du corps de l'écrivain vers la bouche du lecteur lisant à
voix haute. Pas de prépondérance du sens ou de la forme dans le coulé de
la langue. Le souffle impose la forme. La forme impose le rythme. La
langue porte et transporte tous les signifiants, les stigmates du corps
disant mêlés en elle.
Un jeu
sur les sons s'élabore alors : "il y a sept ans cette
peur sept au printemps", "De tout. En tout. Pour tout".,
"Qu'attendez vous qui fasse enfin qu'en vous soudain tout sonne," Ce
qui fait le langage est ici jeu sur la sonorité des mots, prosodie
de la langue, musicalité de la phrase et du vers. L'écriture est partition pour
l'oreille. Les vers, parfois, dans l'alternance de répétitions ont des effets
de psalmodies qui créent cette vibration musicale : l'écho du
souffle intérieur. Les harmoniques du corps résonnent dans la langue.
La
forme creuse un chemin, ce fil d'Ariane qui interroge le monde.
« Chercher un sens. C'est jouer. Quel qu'il puisse être. Un jeu sans fin.
Simple ou complexe. Aisé ou douloureux. Gagnant. Perdant. Un jeu »
Le travail sur la forme est peut-être ce jeu qui crée cette
scansion du vers en bouche. Maurice en - quête -
cherche sens. Pour ceci il utilise la prose, le poème. Il les mêle. Il les
tourne, les renverse allant même jusqu'aux limites du langage tel
ce poème, écrit avec des sortes d'onomatopées - À moins qu'il fut une langue autre ?-
et d'où seule la forme fait sens. Prose, poèmes, versets, dialogues,
poèmes aux trouées blanches : ces traces, ce fouillement de la
langue.
C'est Lettres II -
Pour Bernard Dort - qui caractérise le mieux cela. La forme organise
des espaces-lieux d'où la parole émane. Elle s'assimile en cela aux
trois unités du théâtre, qui fut le domaine de prédilection de Bernard
Dort. Trois donc, trois paroles se font face, interfèrent et se
télescopent pour ériger un univers. Trois différentes
écritures tant par la forme écrite sur la page que par la nature du vers
ou celle du rythme imprégné. Trois, traversées par ce cri…"Ce cri, mais
n'entendez-vous pas ce cri" En des dialogues, des versets ou des
poèmes en vers de six, sept et huit pieds qui
alternent, entre eux et avec des poèmes "blocs" - vers
courts, un seul mot parfois -, dans une progression de l'ensemble le
menant à son terme.
Cette
confrontation dans un seul espace - Lettre II- de plusieurs formes
d'écriture dépasse la dimension intrinsèque du sens premier des mots et révèle
par cela l'existence d'une réalité complexe. Sous la trame des souvenirs perce,
inquiétante, l'ombre du monde qui s'active et déroule son temps ignorant tout
des êtres, l'histoire des hommes se débattant en lui. Elle recrée un univers, la
perception que nous en avons, ce ressenti au plus vivant du poète. Sous cette
construction dense, sourd une parole vive.
LBLBL
est un livre de questionnement, d'hommages
et d'amitiés. L'univers qui émerge ici est celui du poète, de l'homme et de
l'enfant unis dans le rythme de la langue pour poser en chœur cette question
sur le sens de l'existence. Peut-être pourrions-nous voir l'essence de ce
questionnement et de cette quête du plus vrai du vivre dans ces deux citations
extraites de Lettre III - Pour Arthur Adamov- qui clôt
l'ouvrage : "Est-il donc impossible, Ern, d'être vrai ?"
et "A qui peut servir de mentir au corps ?"
hm ( Note parue dans la revue Europe N° )