Pris dans les choses

 

Gérard  Noiret 

 

Éditions OBSIDIANE

 

 


 

Ce sont des poèmes écrits entre 1985 et 2002 qui composent  le huitième  livre de Gérard Noiret. Ces poèmes  pris dans les choses  - de la vie -    sont comme des  miniatures, des instantanés de l’existence. Le regard est une des voies de passage du monde vers notre vie intérieure et si ces poèmes  sont très visuels,  il s’agit là d’un premier niveau de lecture.

 

En observateur assidu Gérard Noiret pointe avec acuité  les détails, les gaucheries, les désarticulations de notre société. Il saisit ces scènes et dé-couvre pour le lecteur, les êtres sous une autre apparence que celle d’une réalité aperçue dans le champ d’un regard. Si on songe à Ponge, dans ce percement du réel et par ce titre, je pense aussi au film de Claude Sautet, Les choses de la vie. Scènes de vie dans l’espace commun de la ville où les êtres se regardent, se rencontrent, se désirent, tel ce « Sisyphe heureux » dans le premier des poèmes du livre.

Chaque matin, le nu de 7H01 traverse le couloir.

Lui, de la cuisine, tourne les yeux

afin de saisir au vol cet éclair.

Dans ce quotidien là pas de banal mais une vision en contradiction avec ce vocable qui réduit la vie en une morosité mécanique.  Sous le regard de Gérard Noiret  surgit la quintessence des vies. En touches  précises, ténues, il éclaire un geste, souligne la lumière d’un regard ou accentue une absence – celle d’une mère dans le poème intitulé Baie vitrée - un précipice parfois dans la trame d’une existence. Gérard Noiret aime les êtres. Il les place au centre de la scène de  vie. Il les élève et l’être en eux, alors, plus qu’un corps qui se découpe dans notre champ de vision, s’éclaire d’un coup dans une perspective qui réunit  l’individuel et l’universel, la nécessité et l‘implicite, le libre-arbitre et la contrainte. À ce moment, la vérité et la justesse ne sont jamais si près.

 

Dans les poèmes polyphoniques (Incertaines créatures, Dans les réserves,…) on devine une approche du théâtre que Noiret affectionne.  Leurs vers comme des strates superposées, se frottent, se contrarient et s’agrègent vers un sujet absent : l’ellipse d’un destinataire que le lecteur investi. Par propositions  successives, les vers qui se complètent en suggestions ou en affirmations, nous rappellent  que nul ne possède la vérité et que la justesse,  - celle de l’approcher au plus près -   réside dans les voix de la communauté.

Ce qui est dit  ne réside pas uniquement dans ce qui est écrit  mais se construit à mesure dans l’esprit du lecteur par une dynamique que le langage déploie. Cette succession de vers, dont on ne retrouve pas la prolongation du propos à la ligne, crée en nous des sensations  semblables à celles éprouvées face à des aquarelles quand le regard cherche indéfiniment,  formes et reconnaissances.

 

Ce livre est écrit sous l’auspice des poètes. Qu’ils soient disparus ou nos contemporains bien vivants, ils irradient le livre en des titres et en des dédicaces. Outre la poésie, la peinture par ces hommages à Arcimboldo, à Ernst ou  à Jérôme Bosch y est représentée, comme la musique, l’architecture ou le théâtre le sont de manière allusive et par touches.

 

Le livre s’achève  par Hommage aux 13 juillet, un poème dédié « à une génération » de poètes  où Gérard Noiret avec ironie et désenchantement, stigmatise l’indifférence  qui prévaut aujourd’hui,  malgré les augures parfois sombres annoncés à grand voix, en des vers éprouvés par nombre  de poètes.

 

Mais, rejoignons Les amants  dans leurs poèmes qui parsèment  le livre. Ils demeurent un fil d’Ariane d’espoir et sont comme  une queue d’étoile filante qui traverserait le livre.

 

hm   ( Note parue dans le numéro 173 d’Action Poétique )