Du sang dans les yeux
Claude Louis-Combet
Éditions Virgile
15 €
48 pages
ISBN : 2-914481-05-5
Avec ce court livre d’une cinquantaine de pages, Claude
Louis-Combet nous offre deux récits en prose de souvenirs intimes qui composent
un diptyque. Le premier récit — Le chef de Saint Denis — couvre les
souvenirs de l’enfant entre six et treize ans ; le second, – Belzébuth
et son frère – rapporte ceux accumulés dans l’âge de l’adolescence. Deux textes
où apparaissent les deux faces d’un visage, en maturation, dans un contraste
sans conteste. Deux expériences vécues par un enfant à la découverte du monde
et à la quête de soi dans le contexte du mystère religieux. Une ambivalence
tranchée émergera de ces deux récits. À l’image du Bien et du Mal. À celle, de
la représentation manichéenne qu’en donna l’Église.
Le jeune enfant fréquente alors assidûment l’église de
saint Denis de son village. C’est seul dans le mystère de cette église qu’il
édifiera, à l’aune de l’iconographie et de l’art religieux que lui offre ce
sanctuaire de silence, une représentation du Bien, du Mal et des vertus
morales. Tout en ce lieu a de quoi impressionner et bouleverser le jeune
enfant. Éduqué, on le suppose dans la foi catholique, il rencontre le Sacré qui
règne dans ce lieu. Ce dernier enrichira à jamais son imaginaire de son
imagerie religieuse.
« Mais c’est précisément de ma vision de ces
reliques que je dois parler, croyant aujourd’hui me rappeler qu’il y eut, en ce
temps et à ce propos, chez l’enfant que j’étais, la révélation d’un sens et
d’un secret dont rien, depuis lors, n’a pu me démettre. »
L’enfant, dans le sombre de l’église est impressionné par
les ors, la magnificence et le réalisme maniéré de l’œuvre d’art religieux.
Comme cette représentation de saint Denis, décapité, tenant entre ses mains sa
tête, avec le réalisme cru de la section tranché du cou.
L’enfant dans ce lieu est emporté par une fascination mêlée
de croyance, de représentations, d’imaginaire et de cruauté. Et dans ce cou
tranché de saint Denis, - saint vénéré - qu’y voit-il ? La vertu de la
souffrance ? Un amalgame peu à peu se construit dont il est difficile de
se défaire seul, dans un âge d’imprégnation.
Mais de ce jeune enfant, alors fasciné par ce sentiment de
sacré, de dévotion et de mystère, naîtra quelques années plus tard sur le
versant opposé au Bien, un adolescent de dix-sept ans emprisonné dans des
contradictions morales face à son désir d’exister. C’est ce second récit – Belzébuth
et son frère — qui nous rapporte l’épisode tragique — à l’échelle de
l’intime — de cette période. Il est un écho au premier texte du diptyque et est
le pendant nécessaire qui édifie le livre. Ce texte, dont la fin me bouleverse,
traduit le dénuement et la solitude d’un être dans les prémices de sa vie. Et
l’acte violent et impulsif qui surgira, fruit d’une violence induite
insidieusement avec les années, sera aussi un geste de transgression. Le geste
libérateur de la révolte.
Montrant les archétypes d’une vision du monde, forgés dans
la solitude et la culpabilisation d’un enseignement religieux où le jeune
garçon a baigné, ce texte montre la nécessité d’une société qui utilise une
parole plus claire. Elle s’édifiera d’ailleurs au cours de la seconde moitié du
XXe siècle. Une parole offerte et réellement ouverte pour être librement
partagée. Un monde qui ne soit plus expliqué sous la menace et à l’ombre de la
culpabilité, ni dans un manichéisme simplificateur, mais qui soit proposé, en
nous faisant crédit de la responsabilité de nos êtres. C’est un livre court,
mais dense, riche, chargé d’une présence vivante, qui touche et engage à une
relecture.
hm