Le rameur sans rivage
Béatrice Libert
Editions La Différence
“ Je ne suis morte
qu’en apparence ”
Béatrice Libert fait la morte. Certains vivants ne le sont que par habitude ou convention ; elle, choisit d’exister pleinement en s’effaçant. Le travail du poème est de l’enterrer pour mieux la mettre au monde :
“ Revenir
non pas comme un fleuve à sa source
mais comme une saison libérée d’autrefois
et tout à sa nouvelle envie. ”
Travail du mot mais aussi du corps féminin : “ la femme est le centre, source originelle” et l’aurore “porte un prénom de femme ”.
Le vocabulaire de Béatrice Libert est volontiers abstrait mais sa poésie n’oublie jamais de s’incarner, d’où une présence particulière qui rappelle celle de ce jardin.
“ où nous allons rêver
mendier de la lumière
aux fleurs qui parlent latin ”.
Trois moments assez différents dans le recueil.
Dans la première partie, la plus longue, L’impossible aveu, il s’agit de prendre ses distances avec la route de la vie. Le poème cherche à réconcilier les âges et les personnes que les jours de la vie séparent en nous. Le jardin suspendu, inspiré notamment par l’abbaye de Sept-Fontaines, est l’occasion d’inaugurer une autre manière d’être au monde, presque réconciliée :
“ le chemin le plus court de moi à moi, de l’humain à l’humain, de l’enfant à l’enfant, passe par ce vallon de lumière. ”
Certaines pages peuvent évoquer le non-agir taoïste :
“ qu’es-tu allée
faire dans ce pays perdu de Sept-Fontaines, me demande-t-on ?
Rien justement, absolument rien ”
Enfin le Calendrier du nord achève la réincarnation de notre fausse morte, qui abandonne décidément la route du temps linéaire au profit de la saveur toujours neuve des saisons recommencées.
“ Septembre avale sa salive.
Gourmandise des fruits
Dans les vergers se la métamorphose ”.
Toutes les saisons ne sont
pas heureuses cependant et l’année, comme le livre, se termine sur la note
ambiguë de décembre :
“ attelé au gel, décembre empierre les corps.
La neige s’abîme en elle-même,
Ivre du froid qu’elle déverse à goulées
généreuses.
Nous mettrons beaucoup de temps à renaître ”.
eh