L’oiseau noir le dieu mort et sa mère                            

 

Emmanuel Hiriart 

 

Éditions éditinter                                                                                             

                                                                                

 

Quatre ensembles de poèmes composent ce sixième livre d’Emmanuel Hiriart qui est clôt par une postface de Gérard Noiret. Rosaires des Vierges romanes, Des profondeurs je t’appelle, Sur les murs et Cette force qui va ont en commun une écriture sobre, descriptive et visuelle souvent, qui s’attache au plus près de ce qui importe au poète : le mystère religieux, la perte d’un être aimé, l’enfance. Les poèmes sont écrits en vers généralement courts. L’ensemble Des profondeurs je t’appelle est dédicacé aux grands parents. Il est une reprise de La pluie danse sur le toit,  premier livre d’Emmanuel Hiriart, paru chez le même éditeur et qui a pour coeur la mort de la grand-mère.

Le premier des ensembles Rosaire des Vierges romanes donne à lire une vingtaine de poèmes. Notre lecture est alors en marche à la découverte de ces vierges – saluées –  de nombreuses fois par le poète : Je te salue Marie ou Sœur étrange / Je te salue. Un salut moins religieux que bienveillant ou sacré. Nous les imaginons dans des chapelles, des chœurs d’églises, sous des porches ou à l’ombre de grottes grises sur le chemin de Compostelle qui traverse cette région verte du pays basque où demeure Emmanuel Hiriart. Ce n’est pas tant le signe de la foi qui prédomine à la lecture des ces poèmes qu’un attrait pour le mystère et la beauté qui émanent de ces œuvres de l’art religieux. On ressent une tension  à la lecture de ces poèmes. Elle naît de ce balancement entre l’observation de ces vierges, en des vers où persiste la distance d’un questionnement intérieur Corps étrange de Marie,/ De son fils au long pouce ;, et une succession  de scènes simples de la vie Les oies dignement se dandinent / À la lumière du soleil. En oscillant entre une attirance pour le mystère religieux et ce goût pour la vie qui s’offre, simple sous les yeux,  le poète semble les réunir  Peut-on penser le monde / Sans le mêler de rêves ? Il y a dans ces poèmes une atmosphère de sacré, puisée peut-être dans le pays – perdu – d’une enfance, qu’on imagine dans la foi religieuse et dans son imagination secrète. Hiriart (d)écrit ici les paysages de son univers habité par la beauté des choses terrestres, en maintenant des liens entre réalité et religiosité. (Le monde est la beauté de Dieu. Ibn Arabi).

 

Dans ce livre le poète n’est pas souvent sujet mais scripteur d’un monde, funeste parfois, qui déroule les jours sous ses pas.

Il n’est pas aisé de nommer la mort – celle de ses proches notamment – sans le risque que la peine inonde les paroles et les mots. Elle est présente dans les poèmes de Des profondeurs je t’appelle, pourtant la peine affleure sans excès, discrète et pudique en chacun d’eux. Cette inconcevable mort  – irrémédiable ! – le poète se doit de la nommer jusqu’au bout sans faiblesse. C’est ce que fait Emmanuel Hiriart avec une grande sobriété. Il décrit la mort dans ce qu’elle a de plus tragique et de plus commun. Il  piste la grande faucheuse,  des premiers signes de sa venue jusqu’au deuil en nous-même, qui inscrit l’être cher  du monde des vivants à celui du néant et  dans notre mémoire fidèle à jamais. Il côtoie l’être perdu avec compassion sans omettre le décorum qui s’instaure et persiste quand la vie continue malgré tout.

 

Le  titre énigmatique de ce livre – L’oiseau noir le dieu mort et sa mère  pourrait  être le prélude à une nouvelle ou à un conte pour enfant. Mais j’y vois plutôt les principaux traits  d’une esquisse intérieure (la foi, la beauté, la perte, l’enfance, les choses vues et perçues). Elle se révèle à mesure que nous progressons dans le livre. L’univers du poète prend formes, visages par les mots, les vers et la maîtrise du souffle. Un équilibre est tenté - et réussi ! - par la sobriété de l’écriture qui ne succombe pas à une nostalgie langagière.  Ici pas de lyrisme mais une écriture en conscience pesée, à l’aune et de l’art poétique et du sentiment. L’écriture est alors comme une respiration pleine qui permet d’avancer à pas lents dans le livre. La langue ne contourne pas la réalité, elle nomme la vie comme le poète la voit et la ressent.  De la beauté des choses à  la mort des êtres aimés. Mais la vie est dès lors désenchantée. Il faut réinventer ces territoires d’enfance, quand nous pensions que le temps était immobile : l’écriture est alors seule en recours.

 

Que cache donc la beauté placide des vierges ou ce deuil, des siens et d’une enfance qui ressurgit malgré tout par instants? C’est un reste sauvage d’enfance / Indéracinable Ça prend prétexte / D’un arc-en-ciel pour jouer? Peut-être une foi devenue désormais agnostique ? Je voudrais croire à la musique / Aux anges de Bach / À l’or du ciel / La voix des anges s’est brisée

Dans le livre même les murs dissimulent en eux tous les signes de la finitude   les murs au fil des jours / S’épierrent jusqu’à perdre / La rime et la raison. Quel oiseau noir  plane au-dessus de nos têtes ? – Et ce dieu mort ne serait-il pas celui de Nietzsche ? Alors que reste-t-il donc aux vivants ? Sinon cette beauté du vivre. Cette jouissance par nos sens. Quand tout se délite, la vie s’apprécie dans le flux du sang de nos veines et dans notre mémoire.

Emmanuel Hiriart écrit au plus près des réalités de la vie et éclaire avec acuité les  beautés simples  qu’elles recèlent  jusque dans les pierreries des murs.

hm     (Note parue dans la revue Europe N°912)