L’ampleur du désastre

 

Patrice Delbourg

 

Le cherche midi éditeur. Collection Points Fixes/Poésie.

-Prix Apollinaire 1996 -

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Poète, romancier, chroniqueur, Patrice Delbourg est l’auteur d’une quinzaine

d’ouvrages. Ce livre rassemble l’ensemble de l’oeuvre poétique parue depuis

Toboggans en 1976. Vif observateur, Patrice Delbourg nous livre par

séquences dans le poème, ce que l’oeil - l'âme - relève scrupuleusement à

la manière de

“ ceux qui n’aimaient pas marcher au pas de leurs concitoyens ”

 

Bande Annonce.

Le livre qui débute par Bande annonce dit la désespérance, souligne de

haut-le-coeur l’avenir qui s’avance et pose quelques bornes

incontournables :le “ressenti” au gong du quotidien. Pour Patrice Delbourg la

vie n’est pas à rêver mais à désenchanter à force d’une conscience vive

manifestement réaliste, puisée à l’aune de l’enfance et dans l’instant qui

survient sous les pas

“aucune figure de substitution à l’horizon”

La vie est à ingérer comme elle arrive jusqu’à plus faim, jusqu'à l’étouffement :

“- résister voilà le maître mot”

et vivre dans la précipitation de notre fin de siècle, sur des décombres de

sentiments.

Le poète scrute la vie, fait des - plans - “vers” qui se succèdent

interrompus de blancs “textes troués comme cire à miel”

Travelling continu du poète sur l’éclairage des jours, le dérisoire des scènes,

l’existence des acteurs. Néo-réalisme ce noir et blanc, les vers sur la page?

...la pellicule des yeux , le deuil en enfilade.

“- ne suis-je abouché à cette mappemonde que pour raconter

cet interminable naufrage pour témoigner à perte de vie

de la banqueroute de tous les sens

dans la cohue des chrysanthèmes d’un vieil automne en couvade”

 

La langue.

C’est une écriture chaotique à l’image de ce monde qui bouge, tremble sous sa

propre vitesse, le précipice de ses accélérations. Les poèmes de Patrice

Delbourg alternent entre vers et proses. Parfois en forme d’une disposition

classique les vers muent dans une forme qui inonde la page blanche, qui

voudrait l’investir . Le poeme - ses limites - sont sur ses marges fluctuantes

et imprécises, définies au gré de la voix intérieure.

Les vers sont des vagues, des raz de sentiments qui débordent, abordent le

rivage - juste- entre rive intérieure et succession régulière des jours.

Dans “ Toboggans ”, ils déferlent dans le ressac des rythmes intérieurs, la

pulsation erratique du corps.

Des blancs - courts – les séparent comme des respirations immanquables,

des suffocations intérieures, des haltes nécessaires . Ici pas de retour à la ligne

à la fin des vers. Dans l'effusion des sentiments qui le possèdent le poète

poursuit son avancée. Il résiste et ne succombe pas.

Par l’abondance des mots qui tranchent, expriment un mal-être, la langue avec

son rythme saccadé et heurté creuse des rus dans la page : des sillons pour

recueillir les fruits aigres d’une meurtrissure.

Ces vers, ces algarades verbales, ces regimbements de la langue semblent

construire comme un labyrinthe sur la page. Dans cette succession de jours le

poète cherche issues, trace des pistes, esquisse, par les vers proférés sans répit,

des possibles qui s’avèrent impasses. L’évidence est inexorable.

La mort, la déchéance humaine sont sans cesse présentes dans leurs

dénonciations, les révoltes qu’elles suscitent . Avec Patrice Delbourg le vers

est une tentative , un essai , une percée osée contre la vitre du réel. Un boulet

tiré – rouge – contre le plus inadmissible mais le plus plausible des avenirs.

 

Les mots rares.

Patrice Delbourg dissémine dans ses poèmes des mots rares. Quelques

néologismes ? Ces mots lancés comme des pierres sur le trajet immense de la

vie forment un gué désespérément rêvé pour franchir l’autre rive.

Peut-être un pays merveilleux bâti dans le temps de l’enfance ?

Une nostalgie au “ lyrisme insoumis “- se cache derrière ces mots au

registre de spécialistes. Déposés comme des pierres précieuses, sertis dans le

canevas de l’ouvrage - Poème - ils semblent aller à l’encontre de cette langue

jaillissante encore pleine des buées de la bouche du poète. Ces mots sont

recherchés, choisis, placés : extirpés de la chair. Ils tranchent et brillent d’une

nostalgie dressée contre l’oubli. Ils sont des émissaires pressentis par le poète,

placés dans le flot de la langue qui se rompt, à tant vouloir repousser les

limites d’une réalité définitivement funeste.

hm