Humanités

François Dominique

Éditions Obsidiane – Collections Le Legs prosodique

ISBN  2.        911914. 88. 0   4e Trim. 2005  

13 €                                                                                                                                 

 

On ne sort pas indemne de la lecture d’un tel livre. Avec pour titre évocateur – Humanités – les éditions Obsidiane ont choisi pour lui un format hors norme. Quelle que soit l’acception du mot humanité admise par le lecteur celle-ci sera réajustée gravement, à hauteur du saisissement que dès les premiers poèmes la lecture aura provoquée en lui.

 

On verse dans le trou de voix / La bouillie de plomb fondu / Afin que la voix dise ce qu’elle ne saurait dire.

 

Avec l’emploi d’un pluriel le titre use de l’équivoque. Qu’il désigne la nature de l’espèce humaine et ses civilisations ou résonne des qualités vertueuses et philanthropes que le mot peut évoquer, la lecture des premiers poèmes nous éclaire sur la part occultée de ce mot. – Au pluriel n’était-il pas synonyme d’une formation à forte inclinaison altruiste et humaine ? Ne disait-on pas « faire ses humanités « ? –. Alors, poème après poème, le livre lui rend une épaisseur qui révèle ses facettes monstrueuses. Il apparaît soudain comme aux antipodes de ses connotations philanthropiques. À bien y regarder, cet éclairage rend à ce mot des acceptions qui avaient été tronquées du sens communément admis. En nous rappelant cette part sombre, le livre trace dans cette humanité un parcours des hommes qui est plus en phase avec les réalités de l’histoire. N’y a-t-il pas d’ailleurs comme un acte manqué dans l’oubli de cette part d’ombre ? Comme si la parole commune souhaitait effacer une honte et un crime sur le chemin des civilisations humaines.

 

La poésie nous en dit plus ! La réhabilitation que ce livre opère sur le mot « Humanité » le rend plus  proche du parcours réel de l’homme au cours de l’histoire. Et cette trace, laissée rouge, est souvent occultée au profit des victoires, des conquêtes d’empires qui ne doivent leur magnificence qu’au prix du sang versé et  exigé  de suppliciés. Ces hommes, ces femmes  – ces enfants ! – suppliciés, torturés, expurgés soudain de cette condition d’homme par une barbarie, hélas ! trop humaine.

 

L’histoire oublie trop aisément ses parts d’ombres et de sang. Qui se souvient des noms de ceux qui sont morts suppliciés? Qui pourrait les nommer comme on nomme aujourd’hui le nom de batailles victorieuses ? Les faits ne sont ni tout à fait pareils, ni vraiment différents, l’histoire repasse les plats autrement. Et aux suppliciés d’hier, d’autres demain augmenteront la liste. Car rien n’est blanc tout à fait, rosé tout au plus ambré du sang de ceux qui périssent de la cruauté d’autres hommes. « C’est l’histoire » dira-t-on ! Mais l’histoire humaine – faut-il le rappeler ? –, à travers plusieurs civilisations revisitées ici à l’aune de la souffrance d’oubliés. Vingt poèmes pour baliser nos vingt siècles finissant. De la civilisation  grecque à la barbarie télévisuelle d’aujourd’hui, les passionnés d’histoire trouveront des points de repères pour  les identifications chronologiques. Sur les pages de droites des dessins  d’Alfieri  Gardone accompagnent et résonnent avec les textes sur l’autre versant des pages. Ces encres, je les croirai détails, gros plans, vues macroscopiques, pudeur et témoignages pour affronter cette tourmente de violences et de barbaries évoquée par les poèmes. Le pire est que cet inconcevable a existé et que des êtres humains ont enduré ces supplices. Songeons-y et n’oublions pas nos contemporains avec les prisons d’Irak, celles de Guantanamo, les secrètes dispersées en Europe… N’occultons pas que cela existe toujours et  craignons aujourd’hui que les cris ne fassent plus résonner nos douleurs. Sachons que sous les allures festives et colorées de notre société la barbarie est bien à notre porte.

 

Les bourreaux savent toujours distinguer / l’âme du corps / Pour les attaquer séparément

 

À la lecture de ces textes,  nous vérifions tristement que l’esprit humain ne tarit pas d’invention pour faire souffrir son pareil. Alors « Humanités » ne resplendit plus seulement de l’éclat des lumières quand le livre rappelle qu’en l’homme demeure la part de la bête. La culture, la connaissance de soi, des autres et du monde peuvent seuls répondre à la désolation des barbaries. Humanités ? Vers laquelle allons-nous ? Le livre nous pose la question.

hm