La Digue

 

Ludovic Degroote

Editions UNES                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

 

 

La digue, avec la mer à gauche, les villas de l’autre côté et au bout la falaise. La voici telle que nous la présente Ludovic Degroote dès les premiers fragments de son recueil écrit entre 1990 et 1991 à Wimereux  et à La Madeleine dans le nord de la France. Des les premières lignes,  il nous annonce « on y revient, on attend de recommencer ». Le lecteur pourrait croire qu’il s’agit  d’un retour vers un paysage réel, toujours le même : « la digue ». Mais au fil des fragments se dessine un paysage plus intime. D’ailleurs le poète l’écrit lui-même « les paysages sont intérieurs ». Dès le départ il utilise le pronom « on », côté singulièrement impersonnel et derrière lequel la digue ne peut rien contre les ruminations de la pensée, ces allers et retours de la réflexion. Ce sont des pensées qui « naissent et meurent »  « comme des panneaux dans la tête », du moins, c’est ce que l’on comprend.

 

Au départ elle semble rassurante cette digue. On marche jusqu’au bout, jusqu’au pied de la falaise et on revient. On sait où elle conduit : « la digue ça ne mène à nulle part, ça n’engage à rien »  Mais progressivement, le lecteur se rend compte que la promenade devient une sorte de contrat moral. Plus on avance dans le recueil, plus on ressent une sensation d’étouffement et de solitude. Vers la fin, les fragments paraissent même s’épuiser.

 

Ces paysages intérieurs qui se dessinent sont parfois pesants, traversants et teintés de solitude.  « Ce qu’on vit pèse plus que la solitude des autres réunie » ; « le monde est seul d’être à soi ». Nous percevons alors la conscience de l’individu errant dans un monde  intime en forte corrélation avec une digue. Cet univers interne pèse sur le poète et il est seul à en supporter la charge. «Demeure le poids de notre présence face au monde, ce qu’on pèse soi-même sur ses propres épaules ».

 

 

Le choix de la digue, comme espace restreint, renforce cette idée de l’isolement de l’être. La digue on la parcourt  d’un bout à l’autre puis on recommence, comme si le poète, guidé par une motivation consciente ou inconsciente, cherchait dans ces périples répétés à percer ses désirs. La digue est donc un prétexte pour se retrouver face à soi, cheminer sans fin au sein de sa propre personne par l’évocation toujours du même tableau. Elle est cependant un prétexte insuffisant puisqu’on peut « passer à côté de soi » sans pour autant voir « ce qui est dedans ». Et elle finit par conduire à un état d’étouffement  « comme si les mots gonflaient dans la gorge » d’où le poète est parfois contraint de sortir. Alors de temps à autres, de rares notes d’optimisme surgissent  « c’est calme, il n’y a pas de bruit, on n’entend rien, les yeux sont fermés, la bouche aussi, on est bien. » lorsque cet univers oppressant devient trop douloureux et que le poète comprend qu’il est temps que les choses « regardent ailleurs nous aussi », peut être vers des ciels ?

 

Ludovic Degroote a réussi à partir de ces fragments à rendre compte de la fixation et de l’enroulement de la pensée dans la complexité du processus méditatif de l’individu. L’angoisse grandit au fil des mots, disposés en fragments pour être plus près de la pensée et s’y promener. Y revenir peut être ?

cg