Inconnues saisons

Tahar Bekri

Édition L’Harmattan

 

 

Ce livre présente un choix de poèmes de l’écrivain tunisien Tahar Bekri. Il regroupe des textes tirés de ses différents recueils francophones, et laisse de côté les poèmes en arabe de cet auteur bilingue. Une traduction anglaise de qualité (due à quatre poètes anglophones) figure en vis-à-vis de chaque texte français, sans doute dans l’espoir de donner une audience plus large à ces « selected poems ».

Les poèmes de Tahar Bekri sont en général des textes courts, mais qui ne prennent toute leur valeur qu’au sein d’une série. Plutôt qu’un choix de textes isolés, les saisons inconnues sont donc, logiquement, une sélection de « suites ». On peut mesurer ici tout ce qui fait l’unité de l’œuvre : goût pour l’image juste, formulée de manière énigmatique, qui demande à être creusée

 

« Baigneuse

Barque frileuse o mère du jour endormi

Le prince d’insolation meurt dans tes bras

Les marins quittent tes cheveux cinéraires

Nuit Mer éplorée »

Attention portée au tissu verbal des allitérations et des assonances

« Le sabre sombre a tendu ses filets ensorceleurs

Orphelin je suis au milieu de la clameur »

Chantournement quasi mallarméen de la phrase, goût des rapprochements de mots inattendus.

   Chaque recueil a cependant une identité originale, par sa thématique et aussi par la forme des poèmes.

Tahar Bekri revendique un enracinement multiple :

 

« Son enfance barbier et figues noires

Colonnes romaines et fontaines bruyantes,

Tablettes coraniques et triques en l’air

Les jours si courts ravivaient nos étoiles »

 

Aussi sa poésie francophone mêle-t-elle l’héritage arabe, présent dans la forme du roi errant, dans les thèmes (évocation du roi errant al-malik ad dillil, de l’exilé Ibn Hazm), dans le choix des sonorités privilégiées (au royaume de sable,/le roi errant chante sa douleur) à l’héritage occidental (Hamlet) ou au monde antillais (Proximité de Glissant). Elle dit la difficulté de tenir poème ouvert face au discours identitaire clos qui ravagea le pays d’enfance (et tant d’autres)

 

« La main de l’homme à la barbe barbare

Elle devait détruire ta splendeur

Dans la nuit aveugle de sanie »

Et l’émerveillement d’être au monde librement, libre de la grande liberté métaphysique de qui sait tendre les images et s’y construire une langue, en « oiseau d’étincelle fertile ».

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