Aller où rien ne parle

 

Claude Adelen                                                                                                                                                         

Editions Léo Scheer - farrago  -    

                                                                            

 

« Aller ou rien ne parle »  est le dernier des cinq ensembles rassemblés dans ce livre. Il donne  le titre à cet ouvrage écrit sous l’auspice de la contemplation du monde. Dans le lieu de ce livre, l’art – la sculpture, l’architecture, les jardins - ; les paysages et des  lieux ; la figure du poète Aragon ; la Guadeloupe , cette île … ; la nature, la mer, sont autant de domaines qui donnent au poète la chance de découvrir ce qui dans la vie frémit sous notre regard. Cette beauté secrète contenue sous  l’apparence des choses. Beauté  sise dans notre âme, à moins qu’elle ne jaillisse de la coexistence  de soi et l’objet investi tout ensemble ? Un lien entre le sujet et l’objet ? Beautés surgies dans  le jeu des reflets que ces « représentations objectales suscitant des transferts » –  femmes, paysages, œuvres d’art,.. - nous renvoient. Et la beauté ne serait pas en ce que nous visualisons, mais lovée en  tous les affects liés à ces visions.

Ou jusqu’aux cris  / indistincts qui tombent le soir / des milliers de mains végétales, / jacasseries dans les arbres et crécelles d’insectes / et appel de la chouette, dans un // Temps très profond puits en toi ces paroles / qu’on ne retrouvera plus dans les paroles des hommes /

Notre mémoire affective et intime resurgit dans cette attitude contemplative du monde. Les poèmes de ce livre témoignent de cette quête: ce cheminement du poète.

La poésie de Claude Adelen est une approche sensible, délicate, et à l’affût de toutes beautés du monde. Prendre le temps de regarder,  de voir le monde et ôter cette gangue de - l’évidence aux yeux -, est sans doute la première étape du périple d’un poète. C’est dans le regard, porté avec ce désir de rencontrer l’inouï et de jouir de ce que le monde nous cache puis nous donne, que l’essence poétique de Claude Adelen se love entière. De soi - à l’accès au monde : cette distance. Elle est ici le champ de l’investigation  - essentielle - du monde. Le regard du poète interroge, avec une acuité des plus sensibles et des mieux aiguisées,  le monde et ses représentations. Tout ce qui l’emplit - la figure féminine, la nature, les paysages, les œuvres d’arts,…- , qui  matérialise et ainsi apprécie cette distance, ce vide, ce creux béant entre nous et la présence concrète des êtres et des choses. 

C’est - le beau -, toujours ici, uni au sensible qui nourrit les poèmes. La délicate approche. Ces avancées subtiles, vers le monde où il nous est donné de vivre. De voir. De ressentir et dans ce geste même, d’y inscrire  - ce possible - : notre espace d’existence. Celui que nos pas tracent lorsque l’on marche dans ce monde, sur ses cendres à nos pieds. Exister en lui, avec tout ce qui l’emplit. Ce rayonnement, à peine… ; ces gestes, leurs ébauches… ; les paysages, leurs reflets dans nos yeux…; les femmes, leur présence , corps comme des réconforts…

L’émerveillement du poète prend  sa source au spectacle du monde dont il sait capter l’or :

» l’argent coule le long des arbres » / menue monnaie de la lumière, / et du miel perle au bout de chaque feuille…

L’inspiration, cette alchimie, cette captation, naît de la rencontre de l’être et sa vision du monde. Elle palpite au cœur du poète alors subjugué, en une transe passagère, ce saisi :

cette proie palpitante –

et qui  se traduit en des mots , des vers agencées dans cet écrit du vivre, le poème :

La proie palpitante qu’on est allé prendre / dans la vivacité de l’aile et l’éclair /

de soleil dans l’œil à  facettes / du papillon dont la vie est courte.

C’est ainsi, dans le second poème de l’ensemble « Aller où rien ne parle », qu’est évoqué  ce moment  - précis – de la sublimation de l’instant poétique.

Ces poèmes sont des contemplations. L’émerveillement du poète et l’exaltation qu’il éprouve face à la nature, aux paysages et aux éléments  premiers qui forment notre univers de vivant, en témoignent. Cela apparaît clairement dans le dernier des ensembles qui donne le titre au livre et qui me semble avec le tout premier, « Les petites Maillol », des plus aboutis.

Ici, le langage tente d’approcher au plus près la beauté des paysages :

Là où les ressemblances se rêvent mêmes / et se désolent du comme, / sensations qui n’atteignent / pas aux noms, pas à la surface / de cette langue qui mêle ses violettes, // ses vins ses danses sanglantes,/

mais il ne semble pas  atteindre l’exigence du désir du poète. Celle peut-être, d’écrire de la poésie, à l’égale de la beauté que le monde lui procure. L’ambition est haute. L’intention majestueuse, celle d’un homme voulant rivaliser avec l’éclat des lumières dont il nous est parfois  permis de jouir. Dans cet engagement le poète prend acte de l’ampleur de sa tâche : 

tu entres dans ce qui te déborde, tu traverses / la voix humaine.

et dans ce livre, et dans de nombreux vers, on ressent parfois le souffle vif d’une haleine aérienne.

hm