Le polyptyque de la dame à la glycine

 

Gérard Noiret

 

 Éditions Actes Sud

 

 

 


La forme d’une investigation

 

Une histoire n’est jamais monolithique, telle qu’elle nous apparaît en premier lieu. L’apparente continuité d’une histoire, avec début, milieu et fin est une simplification. Notre réalité est bien plus dense et tisse indéfiniment une trame complexe, faite d’inserts, d’imbrications, de ramifications très divers. Ainsi, elle peut être déclinée en une infinité de micro-histoires, de séquences, de récits, de dialogues. Telle une goutte d’eau qui sous un microscope se densifie à l’œil et se ramifie en de micro-organismes, une histoire sous l’éclairage d’une forme de roman, se développe, s’étend, se complexifie.

 

 

La multiplicité du regard

 

À l’instar d’un plan cinématographique de paysage, où ce qui est montré dépend de la position de l’observateur, de l’acuité de son regard, de la scène précisément observée, du temps qu’il fait, de la lumière, etc. Gérard Noiret par la diversité des formes utilisées choisit la multiplicité du regard pour écrire ce roman et interroger les pans d’une réalité. Multiplicité à plusieurs égards. Celle d’abord des narrateurs ; celle des formes d’écritures ensuite poèmes, proses, monologues en polyphonies ; Enfin par le choix d’une forme donnée au roman apparentant sa narration à celle picturale des polyptyques et où Jérôme Bosch, auquel la ville natale de Gérard Noiret dédie un musée, n’est peut-être pas étranger.

 

 

Un procédé pour une précision

 

Ce choix — emploi de genres littéraires différents — confondus et mêlés par la multiplicité des reflets et les niveaux de lectures qu’il crée offre aux lecteurs, des possibles, des probables, des éventuels qui miroitent ensembles et simultanément. Un procédé pour une investigation plus ajustée au passé. L’ensemble du livre semble trouver son paradigme dans cette scène où la narratrice voit se refléter son image — doublement dans un jeu de miroirs :

« Dans la glace de la première armoire, j’ai vu mon rictus et mes cheveux gris et le reflet de l’ensemble dans la seconde »

Tout souvenir est subjectif, toute réalité multiple.


La fin d’un univers

La structure créée, n’est présente que pour éclaircir la trame d’une histoire familiale, qui ressemble à toutes autres : singulière ! Tout enfant malgré lui y est plongé, et il lui reviendra la tâche, lorsqu’il aura atteint l’âge adulte, d’en révéler les zones d’ombres. L’histoire est ici étirée, tendue, mise à jour dans sa complexité, la nature des relations entre les personnages, membres d’une famille : du passé fondateur jusqu’à l’issue finale. Fatale ! C’est une vie entière, habitée par ces êtres que nous aimons, avec qui nous vivons mais qui conservent malgré cela et curieusement, leur part de mystère. Ce roman est l’histoire d’une vie. La fin d’une vie, celle d’un univers, la mort d’une mère.

 

Le polyptyque

 

C’est le mot roman qui est inscrit sous le titre du livre mais la forme dès que l’on ouvre le livre ne laisse pas au regard l’habitude des lecteurs de romans. L’édification de ce livre, — dont le sommaire original est représenté sous la forme de panneaux — respecte et la symétrie et le positionnement des panneaux dans leurs articulations. C’est une polyphonie de voix qui débute et achève le livre. Ces voix s’interceptent, se choquent, se répondent. Ces voix inconnues nous sont pourtant bien familières. Voix des passants ? Voix des collègues ? Voix des voisins ? Voix des amis ? Toutes celles-ci nous accompagnent au cours des événements notre vie, les heureux, les mouvementés et les funestes.
Ces polyphonies, Panneaux dits des Anges Bavards sont les volets externes du polyptyque qui en comporte onze. Ce qui en socle soutient l’édifice, sont ces PRÉDELLES dites DES COUPLES. Douze poèmes dont le thème d’inspiration est le désir et l’amour, ce fondement de tout développement de vie. C’est dans cet univers parfois clair, mais d’autres fois secret, que le désir entre les êtres peu jaillir, impromptu :
« Sous le tee-shirt » ; « aux plis convergents d’un jean » ou « dans le reflet d’une vitrine »
Mais peut-être aussi - dans un pot de fleur offert. Une glycine ?- Une Wistéria avec ses torsades, ses nœuds et sa force incroyable » capable de tordre une grille » ou de traverser les années.
L’ensemble est coiffé d’un Pinacle (un poème) qui se positionne au centre juste — du livre.

 

Une épopée familiale


Cette histoire pourrait être la nôtre tant parfois nous partageons et nous comprenons ce qui est dit ou vécu.
Le roman cerne, approche et tente de livrer un mystère. Une histoire d’amour irrévélée. Hypothétique ? Illusoire ? Les traces, les signes se révèlent à mesure du temps qui passe et que la fin approche. Il faut alors prendre conscience de son caractère irrémédiable :
Les lèvres que j’avais crues éternelles ne prononceraient plus mon nom.

Après il sera trop tard. ! Quel secret emportent ceux qui partent ? Ceux, qui nous étaient si proches.
À la différence de l’arbre généalogique dont la représentation régulière, équilibrée, rationnelle nous rassure quelque peu, la glycine a cet avantage d’être plus réaliste et de représenter au plus près, par ses circonvolutions, ces tortueuses progressions, ses soudains changements de directions et ses méandres, les péripéties que la vie inflige aux êtres humains, ici dans cette épopée, genre auquel Gérard Noiret élève l’histoire familiale. 
Mais gardons espoir car rien n’est jamais perdu : « Le passé est la chair d’une seconde chance. »

hm  ( parue dans le numéro 821-862 de la revue Europe)